Notre article « Large-Scale Metagenomic-Based Study of Antibiotic Resistance in the Environment » publié dans Current Biology en mai 2014 a reçu une grande attention de la part de divers médias.
Suite à la levée de l’embargo sur cet article (8 mai 12h à NY), nous avions quelques heures plus tard déjà été sollicités par :
- Carl Zimmer, New-York Times (lien article)
- Alice Park, TIME Magazine (lien article)
- Dennis Brady, Washington Post (lien article)
- Rebecca Morelle, BBC News
- Patrick Hutchens, The Conversation
Le site du CNRS/INEE a repris l’information.
Un communiqué de presse a été rédigé en français (voir ci-dessous).
La soutenance de thèse de J. Nesme, vendredi 16 mai à 14h à l’ECL (Ecully, Amphi 201) a été en grande partie construite autour de ces résultats.
Contact : Pascal Simonet
Communiqué de presse
Nous voulons porter à votre attention la récente parution dans le journal Current Biology de travaux récents réalisés par le groupe de Génomique Microbienne Environnementale.
Dans ce travail, nous nous sommes intéressés à la présence et à la diversité des gènes de résistance à des antibiotiques chez les bactéries de l’environnement (océans, sols, air, tube digestif humain, etc) en dehors donc de tout contexte médical.
Nos résultats montrent un niveau important (et pas forcément attendu) de diversité et d’abondance de ces gènes dans ces environnements et ce qui justifie leur publication dans une revue de haut niveau comme Current Biology c’est que ces résultats doivent être mis en perspective de la résistance de plus en en plus préoccupante des bactéries pathogènes de l’homme aux antibiotiques. En fait, notre article renforce l’hypothèse d’une origine environnementale de ces mécanismes de résistance chez les bactéries pathogènes en milieu clinique ce qui ne manque pas de poser des questions sur comment limiter une telle propagation aux pathogènes et trouver de nouveaux antibiotiques puisque ceux utilisés aujourd’hui sont de moins en moins efficaces.
Nos résultats incitent à comprendre ce qui justifie la présence, la diversité et l’abondance de ces gènes chez des bactéries de ces environnements « naturels » et en particulier le sol où l’influence anthropique est très limitée contrairement au milieu clinique.
Rappelons d’abord que la plupart des antibiotiques utilisés pour la santé humaine sont dérivés de molécules elles-mêmes produites par des microorganismes et particulièrement des bactéries (Actinobacteries type Streptomyces spp. par exemple) ou des champignons (comme la pénicilline, produite par des souches du genre Penicillium spp.) se développant dans le sol. Les antibiotiques sont un des constituants majeurs de l’arsenal d’armes chimiques que certains microorganismes ont développé pour s’approprier, au détriment d’autres, plus de nutriments et de territoires. Pour se protéger eux-mêmes contre les molécules toxiques qu’ils réservaient à leurs congénères, ces microorganismes producteurs ont déjà dû s’équiper de gènes de résistance, ce qui explique une partie des gènes de résistance. Mais les non-producteurs, pour s’en sortir ont dû aussi trouver d’autres parades en développant des mécanismes de résistance spécifiques. Pour garder leurs avantages les agresseurs se sont vu obligés d’innover en créant de nouvelles armes chimiques, de nouveaux antibiotiques qui à leur tour ont généré une nouvelle parade chez les agressés. Ce que nous observons aujourd’hui est le résultat de cette course qui dure depuis des centaines de millions d’années entre armements chimiques chez les uns et boucliers protecteurs chez les autres. C’est ainsi que peut être expliquée la très importante panoplie de gènes de résistance à des antibiotiques que nous avons trouvée et comme cela concerne tous les environnements étudiés on peut penser que ces mécanismes sont universels dans le monde microbien.
Ces résultats contribuent donc à orienter le débat actuel sur le problème de la résistance aux antibiotiques observée chez les pathogènes cliniques vers une perspective écologique beaucoup plus globale en associant à la question de la résistance celle de la production des molécules antibiotiques par les microorganismes. .
S’il est en effet préoccupant de constater que notre pharmacopée de molécules antibiotiques est mise à mal du fait des gènes de résistance que l’environnement naturel tient à disposition des pathogènes, la lutte sans merci des bactéries entre elles dans le sol les a aussi conduites à développer toute un arsenal d’antibiotiques dont l’homme n’a encore exploré qu’une infime proportion.
La lutte initiale entre bactéries du sol dans une course sans fin visant à répondre le plus rapidement possible au développement par certaines d’un nouvel antibiotique par la création d’un mécanisme de résistance par d’autres trouve aujourd’hui un autre interlocuteur avec l’homme.
Son défi, capital presque pour sa survie ou tout au moins pour le maintien d’une existence telle qu’il la connaît aujourd’hui débarrassée des grandes pandémies infectieuses consiste à découvrir et exploiter les ressources naturelles des microorganismes producteurs d’antibiotiques plus rapidement que ne pourront le faire les transferts des mécanismes de résistance vers les bactéries pathogènes.
La découverte de nouveaux antibiotiques est de plus en plus difficile et limitée même s’il ne fait aucun doute que le réservoir naturel que représentent les microorganismes producteurs est gigantesque. Mais l’investissement intellectuel, technologique et financier nécessaire pour l’exploiter est de plus en plus important. Les grandes sociétés pharmaceutiques, seules à même de mettre en place les moyens considérables que nécessite la découverte de nouveaux antibiotiques sont de plus en plus réticentes à relever de tels défis quand l’efficacité des molécules qu’elles pourraient découvrir peut être remise en question de plus en plus rapidement du fait de l’acquisition par les bactéries pathogènes des mécanismes de résistance.
Des pistes existent cependant avec les nouvelles approches de microbiologie, de génomique, de métagénomique pour exploiter plus facilement et efficacement ce réservoir de molécules bioactives produites par les bactéries du sol. Une parade antibiotique a ainsi été trouvée pour lutter efficacement contre les Staphylococcus aureus resistant à la méticillin* en faisant appel aux approches novatrices consistant à cloner et faire exprimer dans un nouvel hôte bactérien domestiqué l’ADN d’une bactérie inconnue du sol pour produire la molécule active contre ces pathogènes. Mais l’opposition frontale contre les pathogènes ne suffira pas, leur propension à récupérer les mécanismes de résistance est trop efficace pour que l’homme garde une longueur d’avance. C’est par une meilleure compréhension de l’écologie des gènes de résistance chez leurs hôtes naturels, dans le sol, et des voies de dissémination par lesquelles ces gènes sont transmis aux bactéries pathogènes et deviennent alors problématiques que pourra être améliorée la durée de vie des très nombreuses nouvelles molécules antibiotiques qui restent encore à découvrir.
Les traitements antibiotiques constituent certainement la plus grande révolution de la médecine moderne et ont permis pour la première fois de traiter les maladies infectieuses réduisant considérablement leur mortalité et leur morbidité. L’utilisation (et la découverte) des antibiotiques comme tels ne date que de années 1940 lorsque la production des premières molécules découvertes comme la pénicilline a pu être industrialisée. La dissémination des gènes de résistance parmi les pathogènes humains et le très faible taux actuel de découverte de nouveaux antibiotiques peuvent faire craindre à un retour, après seulement quelques générations d’humains, à un véritable âge pré-antibiotique dont on aurait tout à redouter ? Le futur n’est cependant pas écrit d’avance et dépendra des efforts qui seront consentis pour découvrir et développer de nouveaux antibiotiques, pour décrypter comment sont régulés les échanges de gènes entres saprophytes et pathogènes, pour comprendre pourquoi certains pathogènes ne développent ou n’acquièrent jamais de résistance. Les efforts devront également porter sur l’optimisation de l’usage de ces nouvelles molécules, via leur utilisation à bon escient aussi bien en médecine humaine que vétérinaire. Cela pourra se faire par l’association systématique de plusieurs antibiotiques dans les traitements pour éviter/limiter la sélection de souches résistantes. Des mesures coercitives pourraient être aussi nécessaires pour limiter contacts et échanges avec des souches de l’environnement. Ce n’est que par la combinaison de ces mesures que demeure l’espoir de pouvoir répondre efficacement au défi lancé par les microbes. Il faut s’en donner les moyens mais vite, le temps presse.
*Kallifidas, D., Kang, H.-S., and Brady, S. F. (2012). Tetarimycin A, an MRSA-active antibiotic identified through induced expression of environmental DNA gene clusters. J. Am. Chem. Soc. 134, 19552–19555.